mercredi 29 décembre 2021

Faire un voeux : l'idéal, ce serait à deux ?!

 

 Dans une émission radio sur le couple, un type dont j'ai oublié le nom, disait qu'il y avait au moins 3 conditions à remplir pour qu'un couple s'installe dans une certaine durée et confiance :

- le besoin pour chacun d'un changement dans sa vie ( sortir de certaines habitudes, schémas etc...)

- une rencontre érotique

- Avoir un projet en commun ( Pour les couples hétéros ce projet est souvent la création d'une famille et d'avoir des enfants à élever, pour les gays c'est pas si évident de trouver autre chose, mais il y quand même des projets à construire ! )

 


 

A une autre époque de ma vie, j'avais déjà passé la quarantaine, et j'avais (presque) renoncé à cette attente d'une rencontre de l'ami tant cherché, tant attendu...  Il a fallut un grand chambardement, des remises en questions et un "nettoyage" en profondeur, pour qu'enfin je sois "apte" à accueillir celui qui deviendrait mon compagnon... Voici 15 ans que cela s'est passé, et quel cadeau ! Que de joie et de bonheur !

Si c'est vraiment ce que vous souhaitez dans votre vie, combler une part de ce manque, sans vampiriser l'autre, faite ce qu'il y a faire : accordez-vous du temps, faite le ménage en vous-même, puis appelez-le et il viendra à vous !

Bonne Année à tous 

Tipol

mercredi 15 décembre 2021

Mémoire de sel : un récit épistolaire sous le soleil fièvreux de l'Inde

 



















MEMOIRE DE SEL

 

 Ce récit est la rencontre de deux hommes fondamentalement solitaires, mais pas forcément tristes. Romain et Jim ont vécu une relation aussi intense qu’éphémère. Un embrasement des sens, un chamboulement profond de leur être sur lequel avec leurs moyens respectifs ( écriture, peinture, signes… ) ils essayent de comprendre et assimiler ces changements qui ont créé un choc aussi puissant que le chevauchement de deux plaques tectonique !

Nous ne connaîtrons que des fragments de cette rencontre par des extraits de journaux intimes ou de correspondance. 

*********************** 

 

Jaisalmer, Rajhastan  - Inde - Avril ( saison brûlante )

Romain,

Les pierres blondes de cette cité me rappellent tes cheveux et ta silhouette drapée dans la nuit. La ville couchée seule dans le désert, m'évoque ton corps retourné les soirs d’épuisement. Ses ornementations ciselées dans la pierre s'entrelacent  comme tes pensées riches et complexes.

Mais es-tu encore aujourd'hui le Romain que j'ai rencontré il y a deux mois ? Je ne le crois pas car tu as renié tout cela pour te recroqueviller dans la peur.

Et ma soif reste intacte dans ce pays desséché. Comme chaque soir, dans la chaleur étouffante de ma chambre, j'épuise mes nerfs à trouver le sommeil.

Je veux me détacher de toi, de l'envoûtement qui me lie à toi, pour arrêter l'hémorragie de mon âme. Je me sens déchiré et usé.

Dissipons ces ténèbres et écartons le rideau ! Bien que l'amour que je te porte me hante encore et m'empêche de dormir, j'appelle en moi une violence inhabituelle.

 

 

Une intuition très profonde me dit «: Refuse l'indifférence, l'intolérable indifférence et expose-toi, sur la place publique s'il le faut, comme un écorché vif !"

Même dans la nuit, je fuis mon ombre pour ne pas voir le vide. Qu'importe le moyen, tout est bon pour m'éloigner de la force centrifuge de ma conscience. Pendant trois jours, j'ai marché seul dans le désert de pierre, caressé par des désirs morbides. Ce soir, assis dans un carré de lune, au centre de la chambre, je goûte la calme coagulation de l'épuisement. La cité n'a pas d'insomnie et je vacille sur son seuil. Des vibrations crépitent sur les murs. Est-ce la fièvre du désert qui s'est emparée de moi ? Qu'elle m'emporte alors dans la mort avec mon funeste sentimentalisme d'adolescent attardé !

Je souffle la bougie, et la mèche rougeoie encore quelques instants dans la nuit. Mon coeur, lui, continuera sa course nocturne comme le faisceau blanc de la lune.

Je transpire dans la chaleur des draps moites.

Romain, écris-moi, car j'ai froid sans toi...

 

Une lettre de Jim à Romain, jamais envoyée faute d’adresse…

*********************

 


 

Chaleur écrasante sur la plage de sable blanc. Un vent du large permanent allège les corps alourdis par la fournaise.

Le matin tôt, tu partais pour une longue marche sur l'immense plage. Une fois, à distance, je t'ai suivi en me cachant derrière les bateaux des pêcheurs, puis des taillis sur les dunes. Je voulais connaître le secret de ta solitude sauvage. Tu  t'éloignais le plus possible des hommes. Les rares indigènes que tu croisais, jeunes pêcheurs et porteuses de bois, ne recevaient de toi qu'un regard furtif. Et ils se comportaient de même avec toi.  Tu allais devant toi à la recherche d'un lieu encore plus isolé, plus sauvage.

J'ai compris plus tard que les noces que tu célébrais chaque matin avec la mer étaient un rituel régénérateur. Tu t'es dévêtu et je t'ai regardé courir nu dans les vagues. Les caresses de l'océan te faisaient bander. Sentais-tu ma présence ? Plusieurs fois je l'ai crû, car ton regard s'arrêtait souvent sur la dune où je m'étais caché. Je t'ai vu offrir ta jouissance à la mer, aux créatures de l'eau, aux nuages sur l'horizon, à l'astre flamboyant. J'en étais jaloux et j’aurai voulu que tu m’invites un matin à te rejoindre pour partager avec toi ce rituel. Je t’ai regardé un moment, puis je suis parti en te laissant à tes alliances secrètes avec le monde.

 

Journal de JIM – février ( 2 mois plus tôt )

 


 

Ce matin :  Petits nuages doux vites évanouis dans l’intensité de la chaleur montante. Pour peindre le ciel : Appliquer d’abord le gris des nuages en laissant quelques blancs. Laisser sécher. Puis bleu Cæruleum tout autour des nuages et le plus harmonieux possible pour faire le ciel.

Pour peindre la mer : Bleu de cobalt et vert émeraude vont se disputer la surface blanche du papier. Ils suivent ou chevauchent les fines lignes crayonnées de l’esquisse. Voici des vagues prêtent à bondirent hors du cadre. Les crêtes écumeuses sont le blanc pur du papier rugueux…

 

Notes griffonnées par Romain - janvier

 

Le mobilier de la chambre est sobre : une petite table et une chaise de bois ; un lit très simple surmonté d’une moustiquaire. Un deuxième lit recouvert d’un batik sur lequel s’éparpillent quelques vêtements. Un réchaud à pétrole et des ustensiles de cuisine traînent dans un angle de la pièce. Des affaires personnelles et des livres sont posés dans des niches creusées dans les murs.  Les crépis sont craquelés par le sel marin en suspension dans l’air. Une procession de fourmis en recherche de nourriture déambule d’un angle à l’autre de la pièce. La lumière encore fraîche filtre à travers les persiennes et éclaire un morceau de mur décrépit. La couleur safran s’écaille et forme sur l’ensemble du mur une étrange fresque abstraite. Ce mur craquelé  plait infiniment à Romain, car couche après couche, le temps y a laissé ses empruntes, a écrit sa partition de couleurs.

Oublier l’Europe, c’était mon but en venant ici… Echapper au cancer de notre civilisation qui répand ses métastases jusqu’ici… Mais ici il reste quelque chose de différent, quelque chose d’intact… un souffle ! Et maintenant j’ai retrouvé ce souffle, mon rythme profond est juste. Je sens, je respire… Et chaque nuit m’apporte sa part de mystère, de douceur. J’étreins ce monde pour ne faire qu’un avec lui.

Et puis il y a l’océan…

 

Journal de Romain – Janvier

 

 

Depuis quelques semaines, la pension était presque vide. La fournaise indienne a fait fuir les voyageurs vers de contrées plus fraîches. Cela me plait car je déteste la promiscuité et les foules. Je préfère les relations intimes. Le monde alentour est écrasé de silence et seul l’air crépite de chaleur. Sous le rougeoiement de mes paupières, le sommeil m’emporte vers des contrées encore plus désertiques. Je vois une plaine brûlante. L’horizon est barré d’une lumière blanche. La chaleur qui monte du sol trouble la vue. Seuls quelques arbres majestueux, étalés comme des parasols offre un abri ombragé, frais. Sous l’un d’eux, le plus grand et le plus isolé de tous, un père et son enfant se tiennent immobiles. Ils m’observent… Qui sont-ils ?

 J'ai entrouvert les yeux et observé les taches abstraites formées par l'humidité salée de la mer sur le crépi du plafond. Chaque après-midi, la cour de la maison n’est qu’un carré de lumière saturé de chaleur. Dans un angle, sous les arcades plus fraîches, une vieille femme passe son temps à trier des plateaux de riz et de lentilles. De ses mains presque momifiées, elle extrait les petits cailloux  mélangés aux graines. Un jeune homme, au corps tordu par un handicap grave, se traîne à proximité en renversant mollement la tête sur le côté. Il exprime par des cris modulés ses désirs informes. Parfois, son frère aîné le porte avec tendresse dans ses bras et le promène de la cour à la terrasse de la maison.

Puis fatigué de son poids, il revient et le repose vers sa vieille mère qui n’a pas quitté ses plats de nourritures.

Dans mon rêve il y avait un grattement, mais ce bruit venait maintenant du fond de la cour. La porte de bois s'entrebâilla et un chien haletant s'y faufila. Il se dirigea sans hésiter vers un robinet qui suintait et se mit  à laper l'eau. Tu apparus alors à sa suite sur le pas de la porte. Tu titubas entre les lessives suspendues et parcourus le même trajet que le chien. Puis aussi tu bus longuement l'eau saumâtre. Je me suis approché, d'autres personnes ont fait de même. Tu nous observais inquiet et fiévreux puis tu t’es effondré, comme liquéfié sur le sol brûlant de la cour. Personne ne réagissait, alors je t'ai soulevé de terre et emmené dans ma chambre.

Ton corps était brûlant, tes habits déchirés et sales. Je t'ai déshabillé et recouvert d'un drap. Tu as sombré dans un sommeil agité. Les heures ont passé, la nuit est venue. J'ai continué à te veiller à la lueur des bougies. Parfois tu gémissais. La sueur perlait sur ton corps et avait déjà imprimé sur le coton, comme un suaire, de grandes taches d'humidité. Tu grelottais et te recroquevillais, les mains rejointes entre les cuisses. Dans ton délire, tu parlais : une lumière blanche, aveuglante... un lieu sans ombre !  Que de tristesse dans ta voix !

Au matin, un peu de sérénité était revenue sur ton visage brûlé par le soleil. tes cheveux bruns en désordre étaient humides de sueur.  Celle-ci coulait sur tes tempes, le long du cou et perlait aussi sur ta belle poitrine.
Tu étais beau dans ton abandon au sommeil, épuisé par les fièvres, enveloppé de clair-obscure.

je suis allé chercher un baquet d'eau tiède et j'ai lavé ton corps. Tu frissonnais lorsque je glissais sur tes muscles avec la petite serviette mouillée. J’ai exploré tous les recoins les plus intimes de ton corps et il m’a semblé te connaître mieux que si nous étions amis depuis longtemps. Tu tremblais encore mais semblais plus calme. Le cycle de la fièvre s'apaisait.

Durant trois jours tu es resté alité et un matin tu t’es levé en titubant dans la lumière déjà forte du soleil.

 

 

Tu étais malade et je t'ai recueilli. 

Tu avais soif et j'ai porté de l'eau à tes lèvres.

Tu délirais dans ton sommeil, et je t'ai tenu la main.

Dans ta solitude profonde, ton corps a supplié l'amour.

Je t'ai nourri de mon amour... 

Puis les fièvres t'ont quitté, mais étais-tu vraiment guéri ? Je crois que ton mal est plus profond...

                                                             

15 Janvier - Extrait du journal de Romain 

 

************************ 

Romain,

Seul sur un point du monde,

Ce soir, j'ai pleuré toutes les solitudes du monde

Seul dans une forteresse dominant  le monde

Aujourd'hui, j'ai pleuré toute l'ignorance du monde

Seul dans une chambre isolée du monde

Ce soir, j'ai pleuré toutes les angoisses du monde

Et dans ce monde, rien n'est assez beau pour te remplacer

Car bien que soulagé par mes larmes

Ce soir, je te sais aussi seul au monde...

                                                                                            

 Journal de Jim – Jaisalmer - Avril

 

 


                                                                                                             

Jodhpur, Rajasthan – Avril

 

Romain,

Ce voyage n'est qu'une fièvre. Je le vis dans un perpétuel état d'embrasement, les tempes en feu et les membres endoloris par l'ivresse de mon sang. Je suis dans cet état depuis mon premier jour en Inde. Les excès de ce monde me bouleversent, me transpercent de part en part, tour à tour m'exaltent ou me laissent pantelant. Depuis des mois, j' erre ça et là comme un navire sans voile ni gouvernail. Au hasard de cette navigation chancelante, je t'ai rencontré, comme un îlot salvateur, une halte de repos, un baume sur mon corps et mon âme. Seul mon coeur est resté au centre de la tourmente.

Non, je n'oublie pas ta précieuse aide alors que tout en moi crevait de solitude. Je suis arrivé titubant de fièvre dans la cour de ce Guest House, et je me souviens avec délice le moment ou tu m’as pris dans tes bras et soulevé de terre pour m’emmener dans ta chambre. Je n'oublie pas tes heures de veille alors que je m'agitais comme un condamné brûlé vif. Je voyais deux lueurs dans cette pièce obscure : celle de la bougie vacillante et l'éclat sombre de ton regard. Lorsque la fournaise de mon âme et de mon corps se sont apaisés, que j'ai pu percevoir les éclats et l'ombre nuancés de ta présence, je suis tombé amoureux.  Je n'en ai rien dit, mais le désir transpirait de moi.

 

Lettre de Jim à Romain ( non envoyée )

 

Comme chaque soir dans ma chambre d'hôtel, j'épuise mes nerfs à trouver le sommeil dans la chaleur étouffante. Seules les quelques heures précédant l'aube, apportent un peu de fraîcheur et permettent le repos. Epuisé, je fini par m'assoupir, la conscience émaillée de rêves étranges, baignée de sécheresse et de sable. Pour créer un courant d'air frais, j'ai pris l'habitude d'ouvrir la porte de ma chambre donnant sur la cour, et je la retiens ouverte en la bloquant par une petite table. Ce semblant d'air qui traverse la pièce, atténue un peu mes angoisses.

Soudain, la nuit passée, je fus réveillé par un fort courant tout à fait inhabituel. Ce vent puissant venu du désert semblait encore s'épancher dans mon rêve. puis, une sensation soyeuse, un effet crissant sous mes doigts acheva de m’ éveiller. Un sable fin et doux avait pénétré dans la pièce, et recouvrait chaque chose d'une fine pellicule. Mon corps n'avait pas échappé à ce début de fossilisation. Le sable y adhérait, maintenu par ma transpiration. En me penchant alors à la fenêtre, j'ai vu dans le ciel, des "choses" encore plus étranges que celles de mes rêves: des araignées de lumière déchiraient la nuit; un réseau incessant et toujours mouvant de filaments électriques; un fracas d'éclairs...silencieux!

Au-dessus d'une masse rocheuse, se découpait dans les lueurs blanches, la silhouette massive, noire et inquiétante de la forteresse. Puis, comme pour contredire ou accentuer cette irréalité fantasmatique, un unique et puissant coup de tonnerre a secoué le fond du désert. Ces premiers signes de la mousson se sont ensuite éloignés, et tout est redevenu calme et obscure au pays de la Mort !

 

Journal de Jim  Jodhpur - Rajhastan  Avril

 

Où irais-je m’asseoir pour contempler le dernier soir du Monde ?


 

Le monde indien me séduit infiniment :

Couleurs, tissus et vent ; Ocre, bleu ou blanc agité ; Dans les grandes plaines du centre : Une barre blanche dévore l'horizon tronqué ; Banian pourpre, ombres grises et cobaltées ; Les bateaux retournés vers la croix du Sud ; Ou éventrés magnifiquement arrogants ; Radieuses, larges coques délavées

Inondation de lune sur les éclats de terre ; Approche du phosphore dans la nuit ; Fixité de la lune au-dessus du muret ; Filaments violets sur les feuillages ; Battement et respiration des ténèbres ; Le ciel frétille au-delà du noir

Surfaces distinctes de crépit - Il a l'audace bleue

Poème de Romain - Orissa - janvier

 

Lorsque je considère le Monde, sa beauté et sa diversité, toutes  les activités humaines me paraissent vaines.  Enfouissement dans la contemplation.

La nuit, lorsque les hommes dorment de leur sommeil le plus profond, je m'immisce dans la brèche. Je me réveille aux ombres de la nuit, à leurs palpitations. Les arbres respirent différemment; les fauves tapis dans les creux guettent leurs proies. Et moi, je les observe, je les hume, et j'attends patiemment les mystères de la nuit.

J'aime me sentir le frère de tous ces êtres de l'ombre, alors que, lovés dans leurs lits, les hommes craintifs se réfugient dans le sommeil. Je réponds à l'appel de la nuit. Je l'apprivoise. Mes yeux ne voient d'abord que ténèbres, puis les ombres prennent formes, bougent et s'entre-tuent. Crissements des insectes et ressac de la mer. Séduit, je rentre dans la marge et je compte les battements de mon coeur. J'attends patiemment les mystères de la nuit.

Carnet de voyage de Romain - Janvier

 


 

Tu avais tout du nomade et cela se voyait ! Tu campais autour d'un lit de corde sur le toit de la terrasse. Un grand tissu blanc agité par le vent, tendu par des cordages faisait de l'ombre. Alors que tu  somnolais, je me suis approché de toi et je t’ai observé. J’étais fasciné par ton charme fin et sauvage. J’étais aussi un peu gêné, car pendant mes jours de fièvre, tu avais lavé mon corps souillé et sans force. Je m’étais laissé faire, non sans un doux sentiment de réconfort et de sensualité fiévreuse. Je t’observais et tu m'as plu d'emblée car tu me paraissais fait d’un assemblage inconnu auquel je désirais me rapprocher et me souder.

La terrasse plate sur le toit de la maison était ton domaine. Sans regret, tu m'avais laissé ta chambre car tu ne l'occupais guère. Ton campement était celui d'un nomade avide d'espace et de contact avec le ciel. Nous parlions peu, mais je t'observais vivre. J'aimais sentir ta présence car elle me rassurait, m'apaisait. Lorsqu'une brèche était ouverte, je m'approchais de toi. Ton autonomie, ta solitude sereine, tes attitudes posées et tes élans passionnés me fascinaient. Je sentais que j'avais beaucoup à apprendre de toi…

Je t’ai écouté m’enseigner comment redevenir " sauvage ", réapprendre le goût des nourritures du corps et de l’esprit.

Tu m’as fait comprendre combien la plupart des êtres humains, pris dans l'engrenage de la consommation, ne différencient plus l'essentiel du superficiel. Ils ne savent plus quels plaisirs il y a à marcher dans les forêts jusqu'à l'ivresse de la fatigue ; de laver son corps et son âme dans les remous tumultueux des fleuves, ou encore, couché sur le sol, de respirer les parfums lourds et suaves de la terre fertilisée par la pluie…

 

Journal de Jim  Jodhpur - Rajasthan    Avril

 

 *****************

 L’aube vivifie tous les êtres. Chaque matin devrait être un rituel, un accompagnement du soleil dans sa projection vers le ciel.

Avant les premiers signes de l’aube, le ciel nocturne cède progressivement la place à une électrisation de l’horizon, les astres de la nuit se coulent un à un dans cette première lueur du matin. Ici, on se lève tôt et de mon lit observatoire je me sens participer à cette grande transmutation des astres. Pris comme un relais entre la terre et le ciel. Puis je me rendors pour un moment avec les premières caresses du soleil sur mon visage.

La salle de bain du Lodge est sommairement installée dans la cour. Elle se résume à quatre murs ouverts sur le ciel. Les murs décrépis sont jaunes et un carré de ciel bleu s’y découpe. L’eau y coule d’un pommeau d’arrosoir relié par un tuyau à une citerne sur le toit. En fin de journée, l’eau est chaude, parfois brûlante. Je savais que depuis la terrasse où j’avais élu domicile, il était possible de voir les gens s'y doucher. Ce matin, tu m'as vu descendre avec mon linge éponge et un savon. Discrètement, tu m'as épié. J'ai fait semblant d'ignorer tout cela. J'ai continué ma toilette tout en me sachant observé. Ton regard me flattait et j'avais envie de te provoquer, de t’appeler à me rejoindre, juste pour te voir rougir et te cacher derrière le muret…

 

Journal de Romain – Orissa – janvier 

 **************

 

Jeudi

Chaud, nuageux, vent fort et érosif.

Mer peu agitée, atmosphère lourde. Bientôt les premières pluies de la mousson ?

Peindre cela avec du bleu cobalt mélangé à de la gouache blanche !

Mais aujourd’hui je vais peindre uniquement des carrés de couleurs. Je les accrocherais les uns à côté des autres sur une corde à linge tendue entre les deux angles de la terrasse. Puis je passerai quelques heures à les admirer sur le fond changeant du ciel…

 

Heure avancée de la nuit.

Nuages pommelés dans le ciel sombre. Lune croissante à deux jours d’être pleine.

La terrasse sur le toit est inondée de lumière métallique. Blanc à l’extrême, les crépis accentuent le surnaturel de la nuit. Et les zones d’ombres sont très contrastées.

Comment peindre la nuit ?

 

Notes de Romain

 


 

" A l’intérieur de l’être, bien que tout soit agitation, il est bon de savoir qu’un jour tout retournera au silence ! "

Ces paroles agissent en moi encore aujourd’hui comme un envoûtement. Et je me souviens des bruits qui les accompagnaient, le ressac de la mer, le crissement des insectes, Des nuages laiteux, aux franges transparentes et le vent qui agitait les tissus de ton fragile campement sur le toit-terrasse.

Journal de Jim

********************************** 


 Lorsque je considère le Monde, la beauté du Monde, toutes ces activités et cette frénésie humaine me paraissent bien vaines.

Dans des lieux comme celui-ci, la nuit, lorsque les hommes dorment de leur sommeil le plus profond, ce sont les heures que je préfère. Dans les ombres de la nuit, un autre monde se réveille, palpite. Elle donne alors ses saveurs, ses odeurs et ses battements d'ailes  D'autres oiseaux prennent possession du ciel, des fauves tapis au creux des collines guettent leurs proies, les arbres respirent sur un autre rythme.

J'aime me sentir le frère de tous ces êtres de l'ombre alors que, lovés dans leurs lits, la plupart des hommes, craintifs, s'abandonnent au sommeil. Il m'est aussi doux de savoir qu'en d'autres lieux, peut-être sur d'autres terrasses, près des bosquets des savanes, à coté des rougeoiements des feux, devant des grottes de montagne ou sur des marches de tours pyramidales, d'autres hommes veillent. Ils guettent les mystères que leur révélera la nuit et que leur cache le soleil de midi.

Comme eux, je réponds à cet appel de la nuit, parfois violent et passionné. Je ne peux que m'y soumettre.

Alors que mes yeux ne voient que ténèbres tout autour, les ombres prennent forme. Avec le temps et un peu de courage, je peux les apprivoiser et rentrer dans la marge de ce monde.

Cela peut paraître paradoxal, mais dans la nuit, il me semble y voir plus clair. Je veux dire par là que mon esprit fonctionne avec plus de clarté!

 

Extrait des cahiers de Romain

*********************

Plus tard, dans la nuit protectrice, au milieu de ton campement sous la voûte étoilée, tu m'as à nouveau parlé. Tu m'as initié à ton monde et montré les infinis pouvoirs de la séduction. Et les limites de ma perception. J’étais sous le charme, terrassé par ta beauté et ta fierté. J’étais prêt à tout te donner.

Puis, sur ton visage animé et éclairé par la flamme de la lampe à pétrole, j'ai vu les immensités de la nuit se déployer sans limites. Tu agissais sur moi comme un sorcier et je n’étais que ta créature, prêt à être façonné comme une glaise encore informe. Avec douceur tu as pétri mon âme et caressé mon corps. Nous avons roulé ensemble dans un champs d’étoiles et ces instants merveilleux me hantent chaque instant…
Je t’en suis infiniment reconnaissant !

 

lettre de Jim à Romain - ( non envoyée)

 


 

 

 

Je ne veux rien savoir des drames de l’amour !

Je veux vivre mes rencontres, mes élans, comme un amnésique heureux.

Et tant pis si l’on me traite de barbare, de bourreau… 

Journal de Romain  - Orissa – Janvier


 

J’étais monté vers toi et tu tenais assis dans la pénombre. Le grand coffre de bois où tu rangeais ton matériel de peinture et tes affaires personnelles te servait de banc. Spontanément tu m’y a fait une place et je me suis mis près de toi. Une chaleur intense m’est monté dans le corps dès que j’ai ressenti ta force et ton pouvoir de séduction. Un moment infiniment perturbant et attendu. Oui tu m’as conquis comme une citadelle offerte, et déjà envoûté par tes charmes, j’ai laissé faire la magie de la séduction. Quand tu as mis ton bras sur mes épaules, je n’étais déjà plus que transit de bonheur. Cela faisait si longtemps que je ne m’appuyais plus sur personne, que soudain un effondrement silencieux s’est fait en moi. Je ne sais si tu l’as perçu, mais tu t’es encore rapproché de moi comme pour me soutenir. Et nous étions bien, heureux à regarder le ciel étoilé, à écouter le ressac lointain des vagues dans la nuit. Puis, sans rompre le charme, tu m’as raconté ta passion pour l’Inde, ta fascination pour la peinture et les couleurs et ton attitude très libre face aux événements de la vie. C’est là que j’ai compris qu’il ne fallait prendre que l’instant présent avec toi ; que demain n’existait pas encore…

 

Journal de Jim

 

Tu es parti sans prévenir. Je suis monté sur la terrasse et celle-ci était abandonnée au souffle de la mer. Tes affaires n’étaient plus là, le lit était vide et froid. Ne restait que les souvenirs de nos jeux virils et sensuels ceux que nous avions esquissé la veille sous l’intense blancheur de la pleine lune.

Je suis parti en courant vers la plage. Je me suis encoublé plusieurs fois et retrouvé la bouche pleine de sable. Un goût difficile et une sensation crissante sur les dents. Le vent dispersait des morceaux de papier sur la plage. Des têtes de poissons morts à moitié rongés jonchaient le sol… Ce matin-là, la plage était moins belle, les êtres et les édifices rivalisaient de mélancolie. J'avais envi d'entendre du Schubert pour me consoler.

A la gare, j'ai pris un billet pour le prochain train. Que m'importait sa destination. Je n'en avais pas...

 

Je porte en moi une part de toi. Pas seulement des souvenirs, mais quelque chose de bien vivant, organique. Quelque chose que je trimballe comme un colis précieux et dangereux dans mon corps, dans mes organes et mon sang. Une part de toi qui pulse dans mes artères, tantôt apaisant, tantôt brûlant…                                                                                    

Les lettres de Jim. ( Non envoyée )

   

Le vent du désert balaye tous ces souvenirs et mon corps reste brûlant comme le soir de fièvre ou je l’ai rencontré et qu’il m’a soigné comme un frère, un ami de sang…

Je ne sais encore aujourd’hui vers quelle direction regarder ? L’horizon est blanc, blanc comme la peur qui précède une catastrophe. Et ce désastre est en moi comme des aiguilles profondément enfoncées dans ma chair, dans mon cœur … et je n’arrive pas à les extraire ! Je voudrai que mes plaies d’amour guérissent et ne trouve pas les remèdes… Vais-je errer longtemps ainsi ?  Il ne m’attends pas, je le sais, et je n’arrive pas à le sortir de ma vie…

Comment vais-je vivre avec toutes ces questions, ce silence ? et son absence ?

 

Les carnets de Jim

( Derniers mots avant sa disparition )

*********************** 




 

Dans la ville des songes aux yeux ouverts


Lorsqu'en moi se fait sentir le besoin de prendre quelque distance avec les hommes pour mieux les observer, je loue pour quelques roupies une barque de bois que je conduis au milieu du Gange. Au fur et à mesure de mon éloignement de la rive, se déploie sous mes yeux le splendide décor des palais élancés, des temples et des ghats majestueux. Le clapotis des rames plongées dans les eaux troubles calme mes  fatigues mentales. Ici, souvent, je me sens vraiment heureux car  je ne m'imbrique dans aucune histoire. Mon histoire personnelle s'efface au profit d'un statut de pur observateur, presque invisible. Les tissus agités dans le vent, la rumeur sourde de la vie émanant de la cité, la lumière chaude et douce répandue sur le fleuve; Tout cela concourt à mon bonheur de vivre l'instant présent. Cette félicité tant recherchée apparaît par un amalgame d'événements très banals en soi, mais qu'il n’est pas facile à accueillir sans préjugé.


D'autres embarcations s'approchent parfois de moi. Les passagers me regardent avec une curiosité naïve et bien souvent me gratifient d'un sympathique "Hello Mister !". Je réponds volontiers à leur salut. Sur les rives, les humains  poursuivent sans relâche les mêmes activités que leurs parents et ancêtres avaient exercées depuis toujours: celui-ci répare un bateau avec des outils rudimentaires; ceux-là, des pèlerins, marchent d'un lieu sacré à un autre afin d'honorer les dieux selon les rites prescrits; des hommes et des femmes se partagent les épuisants travaux de lessive. Les grands tissus colorés sont vigoureusement battus sur des pierres puis étendus pour le séchage; juste à côté, d'autres hommes  prennent leur bain quotidien, se savonnent de la tête aux  pieds et s'immergent dans le fleuve maternel. Toutes ces activités obéissent à des gestes précis hérités des traditions anciennes, poursuivies avec fierté.

 

En observant  la candeur des indiens dans leurs rites, je prends chaque jour un peu plus conscience, que je voulais que ce voyage  soit placé sous le signe de la noblesse et de la beauté du corps redécouvert, magnifié et chanté. Ici, les hommes magnifiques sont infiniment séduisants ! Les femmes aussi, mais différemment car elles incarnent à mes yeux la puissance magique de la maternité ou la distance respectueuse que l'on doit aux déesses. Les hommes m’inspirent la force et la beauté sensuelle dont je veux moi-même me parer. Je veux aussi participer,  être acteur, et non seulement spectateur, du grand spectacle de ce monde.

Extrait du nouveau journal de Romain à Bénarès



Il en est de certains instants de la vie comme des maladies dont on ne revient pas intact, touché en profondeur, dans la chair et dans l'âme, marqué au fer rouge. Et parmi ceux-ci, les instants de grâce.

Ils tiennent d'une conjoncture hasardeuse et de ce fait unique et impossible à reproduire.

Et c'est bien pour cette raison que la nostalgie de certains instants me hante ensuite pour longtemps. Il en est un que j'ai vécu ici, en Inde, il y a quelques temps, sur la terrasse d'une maison de plage. Il y avait un garçon, bronzé et blond, qui m’observait courir nu dans les vagues. Jim…

Oui, il y avait une terrasse sur le toit de la maison, largement ouverte vers la mer...  

Journal de Romain à Bénarès

Fin

 

 


 

Copyright : Tipol   Ateliernomade@hotmail.com